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L’impact de la crise sanitaire sur les aménagements de bureaux

Interview de Mr Jean-François Lécole,  PDG de Katalyse, cabinet de conseil en stratégie spécialiste du développement des entreprises.

Fondateur et dirigeant du bureau d’études Katalyse (Lyon, 25 salariés), il décortique pour Ad Vitam l’impact de la crise sanitaire sur les aménagements de bureaux. D’après lui, les open space, c’est fini. Tout en alertant lourdement sur les dangers du télétravail.« Le télétravail génère une perte de performance collective »

En quoi l’épidémie de Covid-19 va-t-elle bouleverser la donne dans l’aménagement des espaces de bureaux ?

La crise sanitaire a précipité la fin des open space. Ils étaient déjà largement en perte de vitesse. Tout en mettant à part le phénomène du coworking, réunissant des indépendants désireux de rompre leur isolement à certains moments de la semaine. Les open space étaient une façon pour les entreprises de réduire les montants des loyers, notamment en Île-de-France, où les mètres carré coûtent cher. Mais les salariés, eux, n’ont jamais été favorables aux open space ! Ces espaces réduisent les communications interpersonnelles. Tout le monde se met un casque sur la tête. Il y a au final moins d’interactions qu’entre collègues se trouvant dans des bureaux séparés.

Vers quelle solution faut-il tendre, en termes d’aménagement tertiaire, d’après vous ?

Il faut imaginer des solutions plurielles. Katalyse a ainsi repensé son espace de travail. Chaque salarié dispose désormais d’un petit bureau, qu’il va pouvoir s’approprier, ce qui n’est pas possible en open space. C’est surtout un lieu où il va pouvoir réfléchir et se concentrer. En complément, des espaces de travail collectif, pouvant accueillir jusqu’à 5 ou 8 personnes, sont aménagés. Pas plus : pour être efficace, le travail collaboratif doit s’opérer en petit nombre, avec des outils à disposition – pouvoir écrire sur les murs, systèmes de projection… Enfin, un lieu de convivialité, chose indispensable, est créé. Katalyse a défini ces trois espaces de travail, en partant d’une page blanche et en consacrant son séminaire 2019 sur cette réflexion. Cette évolution se fait à iso mètre carré, et n’a donc pas de lien avec le Covid-19, ayant été décidée avant.

Le télétravail est porté aux nues depuis le début de la crise sanitaire. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle forme de travail ?

Le télétravail a des vertus, qui sont bien connues. Notamment le gain de temps, en évitant les temps de transport, et la possibilité de se concentrer chez soi – si tant est que le télétravailleur dispose d’un environnement de travail favorable, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Si je ne suis pas hostile au télétravail, j’identifie trois inconvénients. Tout d’abord, le télétravail ne favorise pas le travail collectif. Il individualise le travail. Prenons l’exemple d’un cadre qui souhaite télétravailler, car il estime être plus efficace chez lui. Mais c’est une erreur de raisonnement : le sujet d’une entreprise n’est pas la performance individuelle, mais bien la performance collective !

Les collaborateurs doivent pouvoir se demander des coups de main entre eux. Le télétravail tue ces interactions, et génère une perte de performance collective. Les adeptes du télétravail raisonnent en termes de performance individuelle, mais la question à se poser est celle-ci : ‘Pour l’entreprise, est-il préférable que je travaille à la maison, plutôt qu’au bureau ?’

Le 2e inconvénient du télétravail, pointé lors du confinement, est la réduction du lien social avec les collègues. Autre point négatif, celui-là moins relevé, mais que je constate chez des clients : le télétravail défavorise les plus faibles. Ceux qui télétravaillent n’ont pas besoin de l’aide des autres. Mais les plus jeunes doivent être suivis, dans un esprit de compagnonnage. Le télétravail rend difficile cette aide apportée aux moins autonomes.

Qu’observez-vous chez vos clients, en matière d’organisation de travail ?

Les clients de Katalyse sont de grosses PME et ETI, comptant entre 100 et 1.000 salariés. Dans ces entreprises, le sentiment d’appartenance est très fort, plus que dans les grands groupes. L’aspect collectif est primordial. De plus, ces entreprises ont continué à travailler pendant la crise sanitaire, comme par exemple Emball’Iso (emballages isothermes, Villefranche-sur-Saône).

Les salariés des bureaux venaient travailler car ceux de la production devaient se rendre sur site. Une commerciale a commencé à télétravailler, et cela a été mal perçu, car elle ne jouait pas collectif. Moi-même, en tant que prestataire, ai dû me rendre sur site. J’ai proposé une réunion sur Zoom, et on m’a fait comprendre que cela serait mal vu que je ne me déplace pas !

Reste que le télétravail se généralise, malgré ces côtés négatifs. Est-on sur une tendance de fond ?

Dans les établissements de service, une fois la vague du Covid-19 passée, je pense que l’on sera dans un entre-deux. Le télétravail est acceptable s’il est pratiqué avec modération, un jour par semaine, deux maximum. On tendra vers cette forme mixte. Mais pour beaucoup de salariés, il est impossible de télétravailler. Par ailleurs, dans les entreprises où l’usine et les bureaux sont sur le même site, le télétravail ne se développera pas.

Des entreprises vont-elles profiter du télétravail pour réduire leur surface ?

Oui. Bon nombre d’entreprises revoient leurs projets immobiliers à la baisse ou réfléchissent à des implantations sur des surfaces plus restreintes. Deux clients de Katalyse, un dans le conseil et une entreprise pharmaceutique, s’apprêtent ainsi à réduire leur surface de 30 à 40 %, à iso effectifs, en misant sur une rotation via un développement du télétravail. Il est vrai qu’à Paris, les mètres carré pèsent dans un compte de résultat. C’est trois fois plus cher qu’à Lyon !

Des entreprises franciliennes pourraient-elles transférer des services en régions, sur fond de télétravail accru ? C’est une thèse qui a circulé pendant le confinement, et qui suscite des espoirs en Languedoc…

Je n’y crois guère, et je suis pourtant un décentralisateur convaincu, vivant aujourd’hui à Lyon après 15 ans en région parisienne. Les grandes entreprises parisiennes sont dirigées par des Parisiens, qui ne veulent pas quitter Paris. Il y a aussi l’enjeu de la ressource humaine. Si vous déménagez, vous perdez au moins la moitié des effectifs. Aux États-Unis, les gens sont très mobiles. Ce n’est pas le cas en France.

Par Hubert VIALATTE
Pour Ad Vitam

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